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Du visage humain au visage de Dieu

Le visage est ainsi au cœur même de la relation entre deux êtres. Le visage, c’est ce qui me permet de te dire: je te connais et je me laisse connaître par toi.
Véronique Rochat

L’été dernier, j’ai visité l’exposition «Le grand monde d’Andy Warhol» à Paris. Chef de file du Pop art, cet artiste est mondialement connu en particulier grâce à ses sérigraphies de portraits: par ce procédé, il peut multiplier ses visages presque à l’infini. Parmi les plus connus se trouve le visage de Marilyn Monroe, mais également un tableau représentant cent douze fois le visage du Christ («Détail du dernier repas», qui date de 1986).

Ce qui est fascinant dans ces séries, c’est que, selon l’endroit où la peinture s’est glissée ou que l’artiste a choisi de souligner, le visage prend une expression particulière et différente. On a tant de fois le même visage et pourtant chaque portrait est différent. La série représentant Jésus est particulièrement saisissante, car parfois, c’est la passion et d’autres fois, la compassion qui sont mises fortuitement en évidence.
–CREDIT–
Le visage est sacré
Face à tous ces visages, le rapprochement avec Emmanuel Lévinas était inévitable, car ce philosophe juif a en effet fondé son éthique sur le visage. Ecoutons-le: «Il y a dans le visage une pauvreté essentielle: la preuve en est qu’on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant des poses, une contenance. Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un acte de violence. En même temps, le visage est ce qui nous interdit de tuer.»

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Il y a un côté sacré dans le visage, qui fait que rares sont les tortionnaires capables de tuer en regardant leur victime en face. Sans doute parce que chaque visage est unique, parce qu’il est un peu le reflet de moi-même et parce qu’il me permet d’entrer en relation avec autrui. Même les aveugles cherchent à imprimer dans leur cerveau les formes d’un visage grâce au toucher.

Le visage est nu et pauvre, dit Lévinas. C’est presque un livre ouvert: c’est la plus grande surface de peau de notre personne qui reste à découvert et sur laquelle se marquent nos joies, nos tristesses, nos colères et le temps qui passe. Nous cherchons par tous les moyens de cacher cet espace trop révélateur: masque imperturbable ou fond de teint sophistiqué. La réalité de notre être n’en demeure pas moins.

Le visage de Dieu
Dans la Bible, le visage est le lieu où se reflètent des sentiments très humains, mais aussi la gloire de Dieu. Lorsque Moïse redescend du Mont Sinaï, il doit porter un voile, car la peau de son visage rayonne. Il est impossible de voir Dieu face à face sans mourir. Il détourne son visage des hommes par colère ou par déception, mais lorsqu’il tourne le visage vers eux, c’est pour leur montrer son amour.

En effet, ce Dieu majestueux choisit de rencontrer l’humanité dans la nudité et la fragilité d’un visage d’enfant. Noël, vrai visage de l’innocence sans défense. Visage de la bonté tout au long du ministère de Jésus et finalement à Pâques, visage de la souffrance. Dans les textes bibliques de la Passion, il est clairement dit qu’«on le frappait au visage» et qu’ «on lui voilait le visage» comme si justement l’ignominie la plus scandaleuse n’était pas la mise en croix, mais la défiguration du visage, la non-reconnaissance de l’Autre au travers de son visage.

Le visage est ainsi au cœur même de la relation entre deux êtres. Le visage, c’est ce qui me permet de te dire: je te connais et je me laisse connaître par toi.

Véronique Rochat

SpirituElles

Article tiré du numéro SpirituElles 4-09 – Décembre – Février

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