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Génération Patchwork

Un enfant sur dix vit dans une famille recomposée, suite à un divorce ou un deuil. Loin de l’image d’Épinal des séries télés, quels sont leurs défis? Les pièges à éviter? Le conseil et le vécu de plusieurs couples qui sont passés par là

Elles sont attendrissantes, ces familles recomposées, avec leurs nombreux bambins, leurs airs de colonie de vacances et leurs parents, toujours amoureux dans la fleur de l’âge. Si les séries télévisées nous les présentent comme de joyeux chambardements où l’amour et l’opportunité d’une seconde chance l’emportent sur les liens du sang, la famille recomposée constitue un défi au quotidien. Car toute recomposition de famille implique la décomposition préalable d’une ou plusieurs autres cellules familiales.

La recomposition n’est pas une science exacte
Accueillir l’enfant de l’autre, permettre aux enfants issus de deux mariages différents de s’accepter et de s’épanouir dans un foyer résultant d’une union récente, savoir, en tant que belle-mère, s’imposer tout en tenant compte d’une mère biologique présente ou éloignée : telle est la problématique qui se pose, chaque jour, aux chefs de familles recomposées. Cette complexité peut varier en fonction du contexte de la séparation, du remariage, du nombre et de l’âge des enfants concernés. Ce type de famille n’est pas régi par des règles précises. Il constitue au contraire un vaste laboratoire expérimental.

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Les enfants en premier
Des sentiments inconnus peuvent voir le jour, ainsi un jeune enfant qui accepte le nouveau conjoint de sa mère, peut développer l’angoisse de perdre son père naturel et vice et versa. «Partager» sa maman avec un étranger ou des enfants inconnus peut engendrer de la jalousie. Or il est impossible de prévoir ce que sera la réaction d’un enfant amené à vivre séparé de l’un de ses parents, alors que le parent en question, paradoxalement vivra avec un enfant qui n’est pas le sien. Quand les liens du sang et ceux d’un remariage s’entremêlent, l’autorité parentale devient souvent la planche de salut indispensable à la reconstruction. Du côté des parents, le bien-être des enfants prend une place prépondérante dans l’attachement au nouveau conjoint, parfois à son détriment. Comme le résume un quadra remarié : «C’est normal de les mettre en premier. Ils ont déjà tant souffert…»

Apprendre à partager
Pour Paula, responsable de vente de trente-six ans, le plus grand défi a été de se retrouver du jour au lendemain avec trois enfants au quotidien. «Les week-ends, votre mari n’est pas vraiment à vous. Il doit gérer son “autre” famille. C’est impossible d’envisager ce type de famille si l’on ne sait pas partager !», explique-t-elle. Lorsqu’elle a rencontré Bruno, celui-ci était en instance de divorce et avait trois enfants de douze, huit et trois ans. Une situation particulière qui a poussé Paula à mûrir longuement sa décision. Paula explique :«J’ai tout de suite lié amitié avec les enfants de mon mari. Je viens d’une famille portugaise où l’on adore les enfants». Elle ajoute : «Heureusement Bruno a été clair avec eux. Il leur a expliqué qu’en son absence j’avais toute l’autorité parentale sur eux.»
Même si désormais tout semble se dérouler à merveille, Paula met en garde les candidats à l’aventure de la famille patchwork : «Attention, une famille recomposée n’est jamais mieux qu’une famille traditionnelle. C’est une aventure qui porte, en elle, les séquelles d’un échec précédent. Le plus dur est d’expliquer aux enfants qu’on a le droit de se donner une seconde chance». Un fils, Lucas, a vu le jour en 2005. «Il a vraiment été le trait d’union entre tous et notre foi a fait le reste», explique Paula. La foi? «Il est indispensable que chacun partage des valeurs fortes et que l’Église soit aussi un lieu de soutien et d’accompagnement lors des périodes difficiles. Il est parfois complexe pour une famille recomposée de transmettre la dimension sacrée du mariage autour de soi. La foi nous permet de nous accrocher à notre décision.»

Le «ciment» des nouveaux enfants
Que les nouveaux enfants cimentent la famille recomposée est une évidence pour Arlette, quarante-cinq ans, responsable qualité dans le secteur industriel. Elle en avait trente-cinq lorsqu’elle a rencontré Éric, enseignant. Ils étaient déjà parents de deux filles chacun. Ensemble, ils ont eu deux enfants, une fille aujourd’hui âgée de dix ans et un garçon de dix. Les parents goûtent enfin à un bonheur bien mérité. Arlette explique :«On est dans l’“après”. Les plus grandes sont parties et gèrent elles-mêmes leurs relations avec leurs parents respectifs. Avant, c’était difficile. Toutes mes amies qui vivent cette situation le disent : ça va mieux quand les enfants ont quitté le nid. Devenir, du jour au lendemain responsable des enfants d’une autre est vraiment une situation anormale».
Arlette se montre très modeste quant à la nouvelle cellule familiale : «Une famille recomposée n’est pas un grand clan indivisible, ce sont deux familles distinctes qui s’organisent pour vivre ensemble au mieux. Pour limiter les conflits, on doit toujours distinguer les familles.»
Parmi les points positifs évoqués par le couple, cette «seconde chance» si rare. «On a davantage la pression pour un remariage. On veut faire les choses en mieux. C’est stimulant». Quant à la pire période vécue par la grande famille, Arlette évoque d’emblée l’adolescence. Pour elle, il est indispensable d’apprendre aux enfants à se «caler» aux habitudes des autres sans rien imposer. «J’avais peur de coller à mes filles un beau-père qu’elles n’auraient pas aimé», précise-t-elle, l’air grave. Dans cette famille, les filles issues des deux mariages différents, bien que d’âges proches, n’ont jamais été particulièrement amies. Paradoxalement, toutes considèrent les deux derniers-nés comme leur frère et sœur à part entière.

«Un immense gâchis»
L’histoire triste de Carole confirme, a contrario, que vivre avec l’enfant de l’autre est un élément décisif. «Dès le début, la garde de mon fils aîné a posé problème. La nouvelle femme de mon ex-mari ne supportait pas les enfants. Elle hurlait sur mon fils toute la journée. Elle me détestait et se vengeait sur le petit». Lorsque Carole a retrouvé un conjoint qui a accepté son fils, la situation s’est quelque peu stabilisée. Le nouveau couple va alors avoir deux enfants ensemble. Aujourd’hui les trois enfants de Carole sont très unis mais le couple, lui, n’a pas résisté. Carole explique :«C’est un immense gâchis dû à la jalousie. Alexandre a pu s’épanouir à la naissance de sa petite sœur et de son petit frère mais hélas, mon second conjoint ne supportait pas de partager son autorité parentale avec mon ex-mari. Les crises de jalousie étaient récurrentes. Nous nous sommes donc séparés au bout de huit ans de vie commune.»
Les trois enfants, très liés, ont alors développé leur petit monde autour de la seule image de couple solide qu’ils connaissaient : celle de leurs grands-parents maternels, grands-parents communs à tous trois.
Accepter l’autre avec son passé est primordial pour construire une famille recomposée solide. Le vécu de Carole n’est pas l’exception. Il prouve que pour reconstruire sereinement, il faut, et ce, dès le début, définir des règles de fonctionnement claires et s’armer de patience. Vouloir aller trop vite, sans tact, ni discernement, c’est courir le risque de subir un second échec. «Laissez-leur le temps», est le mot d’ordre numéro un des professionnels. ❤

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